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Le Grand Raid 2012 d'Antoine

Posté par pollux le 30/10/2012 17:40:00

Le 20e anniversaire était attendu, annoncé depuis une année comme un évènement hors norme, je m’y étais donc préparé encore plus spécifiquement et intensément, sans pour autant mesurer le réel gigantisme de son nouveau tracé. Patience, mental résistant à toute épreuve, le Grand Raid de la Réunion exigera cette année bien d’autres qualités.

Récits des courses

Si les forces en présence grossissaient plus qu’à l’accoutumée la ligne de départ, la masse de spectateurs réunie à Saint Philippe était plus qu’impressionnante. Ambiance de folie, superbe parcours, gros plateau, le programme semble alléchant.

Après les classiques deux kilomètres de marche dans les embouteillages pour rejoindre la ligne de départ, j’entre dans le sas élite facilement, petite nouveauté, où une brochette d’athlètes bien connus attend patiemment, assise sur un muret. Erik CLAVERY, Michel LANNE, Iker KARRERA, Kilian JORNET, Seb BUFFARD, le team Lafuma, Néréa MARTINEZ, Emilie LECOMTE entre autres. Kilian est sous les feux des projecteurs, ne pouvant même pas s’échapper pour pisser tranquillement, une pression que tous les autres n’ont pas à subir, dans un moment qui demande beaucoup de concentration.

La semaine passée avec mes coéquipiers Lafuma au Vacoa, à Saint Gilles l’Hermitage, m’a détendu et reposé, diverti du manque de courir, je suis prêt à avaler cette Diagonale des Fous !
 

5 minutes, nous nous levons, et cette fois c’est pour ne plus nous rassoir avant…disons 26h ! Ludo COLLET met le feu au public et aux 2700 raideurs qui trépignent et crient leur désir d’en découdre. Je suis déjà heureux, allez, 30 secondes, puis 20, nous marchons quelques mètres, comme aspirés par la foule qui nous tend les bras, puis sans attendre le coup de feu nous partons comme des fusées.

Yess, Grand Raid lé parti ! La foule bordant la route défile sous mes yeux tandis que je cale mes foulées dans celles de Lionel TRIVEL. Nous appliquons une stratégie commune, nous économiser musculairement sur les 20 premiers km peu pentus. Je me fais donc doubler par une trentaine de coureurs entraînés par le départ canon de Michel LANNE, d’Iker et Kilian. Je n’entends pas mon cœur cogner dans ma poitrine, je suis tranquille.

La pluie ne perd pas de temps à apparaître, c’était prévu, et ma Gore Tex Lafuma Speedtrail attend son heure dans le fond de mon sac. Attendre mon heure sera le mot d’ordre, la clé de la réussite. Je quitte la route après 5,5 km, 24 minutes, conformément au plan, le terrain s’élève aussitôt à 10% sur un chemin de pierres de lave. Un quart d’heure chaotique où nous doublons 7 coureurs. Il pleut fort, mais la température reste douce, la veste n’est pas de mise. La suite est très roulante, peu intéressante de nuit, simple jonction de dix km sur une large piste forestière, très piégeuse si l’on se laisse embarquer dans un rythme rapide.  Nous remontons les coureurs un à un, jusqu’à rejoindre Vincent DELEBARRE, l’occasion de déconner un peu.

Enfin, en 1h48’ nous atteignons le ravitaillement où Anne-Marie NEDELLEC nous présente nos boissons prêtes et 2-3 aliments. En dix secondes c’est fait. Pascal BLANC est à cinq minutes, il semble raisonnable aussi. La foule massée à l’attaque du sentier volcan m’encourage à fond « allons GUILLON, allons allons !! ». Je leur lance  « Grand Raid Lé là ! » et ils m’encouragent de plus belle, car oui, ce sentier porte un héritage culturel fort, il est l’osmose des plantes et de la roche, il rassemble ces règnes du végétal et du minéral, et aujourd’hui des hommes fous qui tentent d’accomplir un exploit, celui de traverser l’île sauvage de part en part.

Les parfums d’humus mêlés de senteurs botaniques titillent mes narines, je me sens soudain dans mon élément, sautant avec souplesse les obstacles naturels, trottinant quelques mètres quand la pente s’adoucit. Je distance Lionel, rattrape Joé GRANT, Didier MUSSARD, Erik CLAVERY qui vomit et que j’encourage, quelques coureurs que je ne connais pas, je suis super bien. Il est cependant temps de sortir la veste, car la pluie et le froid forcissent. La forêt cédant la place à une végétation rabougrie sur sol de scories, le sommet n’est plus très loin. Pas de pleine lune cette année, mais des nappes de brume. J’enfile mes gants et me réchauffe en courant, me guidant grâce aux traces de peinture du GR et à quelques rubalises. Vigilance constante, car le brouillard rend compliqué de s’orienter sans réduire l’allure, tout en scrutant le sol piégeux. Ça occupe bien l’esprit, si bien que j’arrive au ravito du volcan en 4h28’, 10e, c’est parfait. Lionel arrive presqu’aussitôt, nous allons pouvoir repartir ensemble.

À présent, c’est lui qui mène le rythme. Nous arrivons à hauteur de notre ami Pascal BLANC, qui hélas ne pourra terminer ce raid. À 2400m, Lionel court à 13km/h, saute les rochers, slalome comme un chat, j’admire la technique. Un chat qui n’a pas peur de traverser les grosses flaques ! C’est qu’il a repéré une sacré proie celui-là, Pascal GIGUET que nous rattrapons, ou Erik CLAVERY qui nous avait un temps dépassés ? 57 minutes pour la section Volcan-Piton Textor, je n’ai jamais été si rapide, le besoin de nous réchauffer n’y étant sans doute pas étranger. Capuche bien fermée, gants de soie, le froid ne peut monter que par les pieds qui plongent sans cesse dans l’eau glaciale. Et nous n’avons encore rien vu…

Mare à Boue, 52e km, 6h29’. Anne me ravitaille en quelques secondes, boisson Bio Energie de GO2, barres salées et gel Bio Energie, de quoi affronter la suite. Je temporise sur les quelques km de route, toujours par économie musculaire, puis j’entre dans Aqualand !

C’est l’enfer, nous remontons un ruisseau glacé qui file sur notre sentier, qui s’étale en flaques incontournables dès que le terrain s’élargit. Gare aux chevilles, l’eau masque le relief. Point de vue accroche, je n’ai pas à me plaindre de mes Speedtrail, bien au contraire. Sébastien BUFFARD me dépasse, récent vainqueur de la 6666 Occitane, bien à l’aise, entraînant avec lui un autre coureur. Lionel et moi les laissons s’éloigner, même si les suivre pour discuter aurait été sympa dans cette soupe. À propos, j’ai hâte d’arriver à Caverne Dufour pour en prendre une bien chaude ! Ça caille sévère, c’est même limite, car je frissonne quand l’eau éclabousse mes jambes.  Les oiseaux chantent le jour naissant, et je déchante de voir un ciel plombé.

Enfin, j’en termine avec cette portion. La vue du ravitaillement me ragaillardit. Soupe bienfaitrice, banane, échange chaleureux avec les bénévoles, Lionel et moi retrouvons rapidement les rochers pour descendre sur Cilaos. La soupe diffuse sa chaleur, petit magma que je garde précieusement. Je me laisse glisser dans la pente comme une coulée de lave, épousant le relief torturé du sentier. Un rayon de soleil salue ma progression rapide, naissance du jour, renaissance des sensations, les sens en alerte, descente en tous sens, c’est sensas !  Lionel me suit toujours, à lui le spectacle du chat, d’un félin plus chanceux puisqu’ici tout est sec.

Nous voilà au Bloc, acclamés par les spectateurs levés de bonne heure, levée de bonheur pour nous. Ces passionnés de Grand Raid nous encouragent sans retenue, c’est leur cœur qui chante, et le notre qui bat soudain plus fort. Pourvu que dure la fête, pourvu que la gestion soit optimale pour vivre des moments de partage encore plus forts, plus loin sur le parcours, bien plus loin à Saint Denis.

Quand j’entre dans le stade de Cilaos, je suis accueilli comme un Réunionnais, ma stratégie est connue, j’ai l’impression d’offrir un numéro dans le spectacle. Mon numéro est le 10, pas mal si je considère que le 5e est à 10 minutes !

Crédit photo : Lukas Garcia

En deux temps trois mouvements Anne opère un ravito efficace. Elle se plie en quatre pour que je perde le moins de temps possible. On ne peut pas dire que je sois sur mon trente et un, couvert de boue que je suis, mais au diable les apparences, c’est ici que j’accélère.

L’Ere glaciaire, c’était il y a deux heures, à présent je me trouve dans la fournaise de Bras Rouge. Je passe Pascal GIGUET, Franck  DUHAUPAS, sans oublier de me rafraîchir à chaque ruisseau, et je pointe en grande forme au Pied du Taïbit, 8e. Le mode Packman est enclenché. J’ignore que Lionel souffre de graves irritations et d’une cheville douloureuse, il ne m’en a rien dit. Ah ce Lionel, quel courage.

Le Taïbit se monte bien, il n’est pas difficile ai-je entendu sur une reco du Grand Raid. J’essaie de me persuader de la justesse des commentaires de Pascal PENOT. Cette méthode COUET fonctionnerait presque ! Elle contribue en tous cas à m’envoyer des ondes positives, et je suis assez satisfait de cette ascension où je retrouve un instant Erik puis un autre coureur. 6e au sommet, je bascule vers Marla, descente sinueuse d’où les vues sur le Cirque de Mafate sont impressionnantes. Le Maïdo est très loin sur ma gauche, mais je dois d’abord contourner la montagne face à moi, direction Col de Fourche et sa forêt humide. Je profite de ce court répit pour m’alimenter.

Marla marque seulement la moitié du kilométrage du GRR cette année, c’est dur à avaler si on ne s’y est pas préparé mentalement. Je me répète comme convenu que c’est super, qu’à partir de maintenant, chaque km me rapproche rapidement de l’arrivée. Pour commencer, le col de Fourche est mon premier but. La forêt est belle, assez ouverte, avec de nombreux rondins glissants et quelques passerelles en bois pour franchir les zones marécageuses. Mon œil d’arboriculteur se repait de la richesse végétale, j’en tire plaisir et énergie.

J’ai rattrapé Arnaud LEJEUNE depuis quelques km, et nous atteignons ensemble le col, après avoir doublé Freddy THEVENIN blessé au genou. Pointage au sommet, l’accueil des bénévoles surprend dans un lieu si éloigné. La bascule est dangereuse, aménagée de marches bétonnées amenant sur une crête étroite. C’est le long de ce précipice qu’un coureur perdra la vie cette nuit… J’indique à Arnaud la vue saisissante, tout en nous penchant vers l’à-pic. Toutes mes condoléances à sa famille, c’est peu de chose, mais je me souviens des échanges que nous avons eus, Thierry DELAPREZ et moi, sur mes terrains d’entraînements, si proches de ceux qui l’ont emporté.

Nous filons vers Ilet à Bourse à bonne allure, la pente se prêtant bien au déroulé de la foulée. Ça fait vraiment du bien de courir sans avoir recours aux sauts de cabris ! Arnaud est un bon compagnon de route, nous discutons à l’aise. Je suis certain qu’il sera rapidement un grand nom de l’ultra, taillé pour, foulée économique, agile, efficace à la marche, et un mental infernal. Pour bien commencer son premier ultra, il s’est fait voler toutes ses affaires de sport dans la voiture de location deux jours avant le départ. Top non ? Et il est là, juste derrière moi.

L’écart se réduit avec nos prédécesseurs Michel LANNE et Sébastien BUFFARD. Je sens que la 3e place n’est pas loin et que la chaleur va affaiblir les organismes trop fatigués. J’ai l’habitude de courir sous 30° à 35°dans l’Hérault, et je sais quoi faire si ça tape fort. Pour l’instant j’imprime une bonne cadence tant que nous sommes à l’ombre, et nous passons Sentier Scout pour un ravito rapide (merci à Thibault pour son aide), puis Ilet à Bourse 30 minutes après pour faire le plein d’eau avant le big mur !

C’est parti pour le plus gros morceau du circuit, la montée du Maïdo depuis Grand Place les bas, soit un bon 2000m+. C’est tout simplement terrible. La première montée jusqu’à Grand Place les Hauts est très forte et vraiment chaude. Il y a heureusement du ruisseau pour se mouiller, et je n’hésite pas une seconde à me tremper complet. Les marches sont hautes, il faut appuyer sur les cuisses pour soulager leur effort. Arnaud a décroché, et je l’aperçois en contre-bas, non loin. Je pense déjà à la suite, à la belle descente qui m’attend après le Maïdo que j’ai reconnue avec Pascal Blanc et Ombeline, Lionel Trivel et notre ami réunionnais Ambroise CARPIN. Que du bonheur en perspective.

En attendant, j’arrive au sommet, pour mieux redescendre vers Roche Ancrée. Je savoure ces minutes de répit, me trempe dans la rivière et attaque la montée. Ouah, le coup de chaud est immédiat ! + de 35° sans doute, ou alors mon organisme est proche de la surchauffe !

Direction Roche Plate. J’aperçois Sébastien BUFFARD pas au mieux, soulevant de la poussière à chaque pas. Je ne lève pas trop la tête pour le voir car cela m’étourdit. Je sens le manque d’énergie pointer. Il me faut prendre un gel, le plus efficace dans ce cas, mais aussi le plus dangereux compte tenu de la chaleur. Il me faut en passer par là. J’ouvre donc un gel Booster  de GO2, en place un peu sous la langue et attends quelques secondes avant de l’avaler. Je recommence l’opération deux fois pour terminer le gel, puis je me rince la bouche pour ôter tout goût sucré, afin d’éviter l’écoeurement. Je n’avale pas la boisson. J’accompagne l’opération d’une marche lente pendant une minute afin de baisser les pulses. Il n’y a plus qu’à prier pour que le gel passe et ne me déclenche pas un vomissement. Je sens l’effet bénéfique des sucres, et ne tarde pas à marcher un peu plus vite, et enfin normalement, yes !

Je rejoins Seb qui me dit vouloir arrêter, puis Michel LANNE qui ne va pas bien du tout, au bord du chemin, en compagnie d’un bénévole. Je stoppe à sa hauteur pour parler avec lui. Coup de chaud, mais sans doute autre chose d’après lui. Il n’a pas tort, car il s’avèrera qu’un virus l’aura chamboulé complètement.

En quelques instants je me retrouve 3e ! Et j’apprends qu’Iker KARRERA est arrêté depuis longtemps à Roche Plate, et que Kilian n’est pas au mieux ! Je ne lâche rien.

À Roche Plate en effet, Iker est encore là, s’apprêtant à repartir tandis qu’Anne-Marie NEDELLEC s’occupe de moi comme chaque année à ce poste de ravitaillement. Mille mercis, c’est un plaisir de se retrouver ici. Je bois coca et eau pétillante, j’avale une soupe, me sentant revivre. La déshydratation n’était pas loin. Je repars juste devant Iker, qui me double en trombe aussitôt!

Je me demande ce qui lui prend à partir en courant dans le col ! C’est très étonnant, on dirait une séance au seuil ! À la réflexion, j’imagine qu’une hypoglycémie lui a fait perdre la notion d’économie de course, ou alors il essaye désespérément de rejoindre son compatriote qui compte 1h d’avance ? En tous cas je suis content, car je me dis que je vais le retrouver tôt ou tard.

À la Brèche, j’ai 10 minutes de retard ! Le ciel se voile, la température baisse fortement, et le moral grimpe en flèche. La montée raide n’est heureusement pas technique, n’obligeant pas à lever les genoux exagérément. Je me souviens m’y être baladé en famille, et je m’imagine avec mes enfants et mon épouse, et non en course, ce qui me détend. J’en profite pour effectuer mes exercices respiratoires qui m’apportent un bien-être immédiat. Les vues sont exceptionnelles sur le cirque, et j’aperçois même Sentier Scout, du moins son relief lointain. Que de chemin parcouru !

Les spectateurs sont de plus en plus nombreux. Tout comme les mouettes annonçant la terre proche, cela m’indique la fin de cette interminable grimpette. Une clameur s’élève enfin, qu’une grande rangée de Réunionnais lance dans le vide à mon attention. J’y suis, à Tête Dure, sommet du Maïdo, après 19h06 de course, chrono que j’ignore alors car mon GPS n’a plus de carburant, moi si.

La nature est folle, comment est-ce possible que tant de forces aient fait jaillir ces montagnes ? L’énergie nécessaire devait dépasser l’entendement ; je longe le vide incroyable de ce Cirque de Mafate, remparts couverts de végétation torturée, cimes inviolables, cratères vertigineux d’où une poignée de trailers suivent les sentiers historiques, les sentiers de l’homme libre. Dans quelques heures, les frontales de centaines de concurrents feront comme un reflet du ciel nocturne, où les étoiles filantes frôleront les trous noirs, où les petites lumières clignotantes laisseront penser que la vie existe bel et bien dans cet univers immense.

 

Je me nourris de toute cette énergie qui m’entoure, alors que la foule d’observateurs m’accompagne  sur le plateau. Je suis à 2000m d’altitude et me dirige vers le ravitaillement où Anne se trove. Je la vois, accompagné d’Audrey, l’épouse de Lionel TRIVEL, et d’Hanaé leur fille qui m’encourage à fond ! Sacrée puce qui n’a pas beaucoup dormi cette nuit pour suivre son papa champion.

Les caméras sont là, j’occupe la 3e place de ce 20e Grand Raid, et si je ne mesurais pas l’importance de l’exploit, les Réunionnais sont là pour me réveiller un bon coup. « ALLEZ GUILLON, allons allons, l’Espagnol est pas loin ». Les enfants veulent des autographes, je signe gentiment bien sûr et je vois leur joie, je n’ai plus le droit de ralentir maintenant, je suis suivi de partout, sur le net, sur le chemin, et par quelques adversaires aussi. Je n’ai d’ailleurs aucun renseignement, alors je demande à Anne de me faire un point sur les écarts lors du prochain arrêt à Sans Soucis.

C’est parti pour la descente, 14 km et 1800m- ! Un sol souple, des arbres d’où pendent des lianes et des cheveux d’anges, le cadre parfait pour une sortie trail. J’aborde cette section très positivement, pourtant, je vais vite me rendre compte que les multiples bosses insignifiantes deviennent des obstacles à marcher, que les centaines de rondins servant de marches  torturent les jambes qui demandent à dérouler tranquillement. Les km se succèdent assez rapidement comparé à Mafate, la nuit approche, des quantités impressionnantes de grenouilles se campent au milieu du chemin. J’allume ma frontale dans les cultures de goyaviers, il paraît que c’était un délice il y a quelques semaines !

Comparé à tous ces batraciens, je ne suis pas très bondissant, je rase les rondins, j’en évite certains, quand enfin le chemin s’aplanit. Il a plu ici, mes chaussures s’alourdissant de terre collée, me demandant un effort supplémentaire pendant quelques longues minutes. La route de Sans Souci est là, petit pointage où j’apprends qu’Iker marche à trois minutes, ça y est, il a craqué pour de bon. Je le rejoins vite, quelques mots, et j’entre dans l’école de Sans Souci où le ravitaillement m’attend.

Pour les enfants de l’école, comme Kilian avant moi, je trempe ma main dans la peinture pour marquer mon empreinte sur le mur d’enceinte et signer. Bonne idée de déco pour eux, dont certains doivent m’encourager parmi toute cette foule. Vincent DELEBARRE m’encourage à tenir le rythme, car il ne lui semble pas impossible que je revienne sur Kilian, lui ayant repris une dizaine de minutes depuis le Maïdo.  Ok, je ne lâche rien, on ne sait jamais.

Je quitte ces lieux très éclairés, accompagné de pas mal de coureurs ou d’enfants qui tiennent à m’escorter vers Rivière des Galets. Quelle ambiance, j’adore ces instants, cette ferveur unique. Ce passage sur piste est longuet, je m’en serais bien passé pour couper court vers Savannah. Une fois le lit sec de la rivière franchi, la remontée sur le Chemin de Bord est tout aussi long. J’y alterne marche et course jusqu’au stade, petite recharge d’eau, et je continue, toujours escorté comme Kilian, jusqu’au chemin Ratinaud.

Seul, je pénètre dans le capharnaüm  de Ratinaud. Descente sur éboulis rocheux, pose des mains obligatoire pour passer les gros blocs, s’accrocher aux arbres et se laisser descendre le long des troncs pour gagner le sol en douceur, devers prononcés, échelles archaïques en bois, une section délicate dont je m’extirpe non sans efforts pour courir enfin sur une route. La descente m’amène encore sur un point de ravitaillement où je m’assois, j’ai faim, il n’y a pas de soupe, alors Anne me donne de tout, nougat, barres salées, sandwich au jambon, noix de cajou, coca, graines de chia, banane. Les réserves y passent, et comme un écureuil fier d’avoir fait bombance, je regagne la forêt de la Kaala.

Le rongeur arboricole disparaît dans l’ombre, sautant de bloc en bloc vers le petit ruisseau qui marque le début d’une montée extrêmement raide, 120m+ à quatre pattes. L’écureuil a disparu, le trailer fourbu s’accroche aux cailloux et aux arbres, tire sur ses bras pour se hisser petit à petit vers le sommet de ce mur d’escalade. Je reconnais l’entrée du sentier large, ouf, un peu de plat, je trottine, puis je cours à nouveau, les jambes sont indemnes, je savoure ce passage sous voûte végétale, c’est joli, ça avance, et ça sent bon l’approche de la Possession.

Petite descente, une balise de temps à autre, puis plus rien. Je continue malgré tout, inquiet au fil des minutes, apercevant parfois sur un rocher une flèche en contre sens, ça sent mauvais. La vue d’une balise quand je n’y crois plus me rassure à moitié, car de nouveau plus rien pendant trop longtemps. Ce manège dure et dure, j’ai le sentiment de m’éloigner vers la gauche de la Possession, j’aperçois au loin les grues éclairées d’un port, je m’imagine déjà demander de l’aide à la première personne de cette zone portuaire et me faire conduire à la Possession, quelle bêtise après plus de 20h de course, un coup à tout perdre.

Pourtant, au bout d’une piste que je ne reconnais pas, je trouve plusieurs bénévoles qui m’attendent pour un pointage, ouf. Je leur indique le mauvais balisage du secteur pour aider les autres concurrents, puis je continue vers le ravitaillement de la Possession, de nouveau escorté. J’ai eu chaud sur ce coup là. Etrangement, c’est une des rares portions que je n’avais pas étudiée avec application, persuadé de m’en rappeler les détails. Ça m’apprendra à ne rien négliger la prochaine fois. Je pense aussitôt que j’en noterai chaque point dès le lendemain tant que c’est frais.

Les lumières de la Possession doivent éclairer un visage radieux, fatigué, mais heureux de tenir à portée de main le résultat d’une nouvelle année de préparation spécifique à ce Grand Raid. Cette 2e place que j’occupe m’octroiera un record inédit de top 4, le 6e d’affilée. Il ne m’en restera plus que 4 pour atteindre mon objectif.

L’ambiance est inouïe, les 150km parcourus sont oubliés, mes pensées vont vers Grande Chaloupe, vers ce chemin des Anglais que j’aime bien, ses dalles volcaniques, ces bosses régulières, sa dernière descente faite de dalles explosées en tous sens. Ce n’est pas là qu’on me rattrapera !

En 1h08’, comme les deux années précédentes, j’arrive à Grande Chaloupe, dernier ravitaillement avec Anne, dernier round avant le stade de la délivrance. Le 3e coureur, Arnaud LEJEUNE, n’a pas encore pointé à la Possession, c’est rassurant. La longue montée régulière m’attend. J’y marche en mode dynamique et tente de courtes portions en courant. Je sais bien que Kilian approche déjà Colorado, mais j’ai envie d’en finir. À Saint Bernard, je suis accompagné dans les rues, jusqu’à sortir de la ville par un sentier étroit et encore bien raide. Les derniers mètres de dénivelé ! Deux frontales viennent à moi, encore deux coureurs qui partageront un kilomètre.

L’approche de Colorado ne se fait pas sans émotions. J’ai fermé mon esprit à cette vision durant tout le raid, et je peux enfin laisser s’imposer à moi l’image de toutes ces lumières qui m’annoncent la dernière descente, celle que j’ai visualisée tant de fois dans ma préparation mentale, truffée de rochers, des zigzags, de la forêt, avant d’être enfin ébloui par les feux du stade.

Je bois juste un verre de coca et je m’éclipse. Personne pour m’accompagner cette fois. Je bute régulièrement sur les cailloux, ce qui me rappelle que j’ai encore des ongles de pied. Je réalise la performance, c’est génial. Je vais encore être qualifié de Poulidor du Grand Raid. Pourquoi n’a-t-il jamais gagné celui là !

Les lumières du stade m’apparaissent enfin, j’entends Ludo qui fait patienter les courageux spectateurs, il est quand même 01h40 ! Dernier lacet, je foule le sol stable, à quelques centaines de mètres de l’entrée du stade, c’est géant, du monde tout autour de moi pour m’emmener jusqu’au bout, je suis annoncé par les Réunionnais qui ont visiblement suivi toute ma remontée, et c’est ainsi que j’entre dans l’enceinte, sous leur cris de joie. Je déguste ces instants forts, que le Grand Raid me procure chaque année, la joie du défi accompli, la joie de l’avoir partagé, la joie de vibrer à l’unisson avec tous ceux qui m’entourent, de près ou de loin, un bonheur simple qui se ne se gagne pas seul.

Mes impressions à chaud sont bien évidemment la satisfaction d’avoir résisté jusqu’au bout en  profitant de l’île et de la fête. Mais il serait bien de réduire certaines portions inutiles, des kilomètres qui coûtent cher au final.

Mes remerciements vont donc à tous ceux qui m’accompagnent sur ma saison, mes sponsors, mes amis qui m’envoient leurs ondes positives, ma famille, à tous ceux qui m’encouragent sur les sentiers de l’île, et naturellement aux organisateurs.

Mi aime la Réunion !

Antoine

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